Arrivés par la côte depuis la frontière slovène, le charme croate a opéré. C’est la rencontre entre le rouge de la terre et le bleu de l’océan qui nous a en premier lieu émerveillé. Nous nous sommes lancés dans une traversée sinueuse, nous faufilant entre les îles et le continent, avec comme ligne d’horizon les reliefs de cette contrée sauvage toujours renouvelée. Grandissait, au fond de moi, à chaque coup de pédale, une gargantuesque soif de pirate de forcer l’aventure, soulever le rideau, pousser les portes. Lors de cette épopée croate, ma bicyclette m’a emportée sur les chemins de la poterie historique puis contemporaine. Dans les pages qui suivent je vous propose quatre articles qui illustrent cette aventure.
Colombe de Vučedol
Novi Vinodolski
C’est au cours de l’année 1991 que la Croatie a vu le jour. Les stigmates de sa naissance sont encore présents sur les façades et sont devenus célèbres sur le Château-d’Eau de Vukovar. Ainsi, ce bâtiment criblé de balles fut érigé symbole de paix, au même titre que la Colombe de Vučedol, plus enclin à panser les cœurs à la suite de ces tragiques événements. Cette colombe est un objet chamanique qui serait daté de l’époque de la culture de Vučedol, entre -3000 et -2200 avant Jésus Christ. Ce vase en terre cuite, retrouvé lors de fouilles archéologiques près de Vukovar en bord de Danube, n’a rien d’un vase ordinaire. Attendez-vous à ce qu’il s’envole. Si vous avez la chance de franchir le seuil d’un foyer croate, ouvrez bien les yeux, il est fort probable que vous croisiez le regard de cet oiseau ancestral.
Pour en savoir plus sur la culture de Vucedol: http://crosci.com/the-vucedol-culture.html
« Bricks » : Potier et bien plus encore
Gospić
C’est avec quelques flocons de neige fondante au creux du cou que nous découvrons la vallée de Lika. Cette région, où les ours et les loups vivent avec les pêcheurs et les cueilleurs de champignons, est la plus froide de Croatie. C’est ici qu’un homme vêtu d’une salopette rouge pratiquant le kick Boxing, le yoga et la méditation, serait, selon la légende aussi potier. Je suis partie à sa rencontre.
BRICKS : six lettres de grand format inscrites sous un soleil peint en façade de ce qui semble être une salle de sport. J’hésite à frapper tellement je pense m’être trompée d’endroit. Rien ne laisse paraître la présence d’un atelier de poterie ici. Un homme arrive, c’est Bricks! Il est accompagné de sa fille Nika qui sera notre interprète. Je les suis sous la salle de sport et découvre l’atelier, spacieux et professionnel. Bricks est rempli d’énergie et il est sur tous les fronts. En plus de la salle de sport et de son activité potière, il gère un service de restauration où la pizza est reine et s’accompagne d’un délicieux jus de pomme maison. Et enfin, bon bricoleur, il a fabriqué lui-même son tour électrique avec ... une roue de bicyclette !
Bricks, c’est le surnom de Nicolas Barević, potier depuis 20 ans. Il a appris auprès d’un potier de Petrinja la technique traditionnelle sur un tour bas de potier manuel. Cette technique est encore pratiquée à Sinj et est classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Bricks n’utilise plus ce type de tour depuis qu’il a son tour électrique, mais il fabrique encore des Peka. Ces objets traditionnels de cuisine sont des pots en terre cuite utilisés pour la cuisson à l’étouffée dans les braises (CF illustration). Sur les étagères à côté des Peka, les souvenirs touristiques attendent la cuisson. Ils sont principalement dédiés au musée de Nicolas Tesla, figure emblématique de la région et aussi du pays. Parfois un trait ou un jus d’oxyde viennent décorer des pièces brutes. Seulement quelques unes sont émaillées. Une terre, un oxyde, un émail. La simplicité est de rigueur et illustre bien la démarche méditative de Bricks.
Après la visite succincte de l’atelier, je suis invitée à mettre les mains dans la terre. Me voilà à tourner un pot avec une roue de bicyclette ! Bricks semble heureux d’échanger autour de la pratique de l’argile, il ne côtoie pas souvent ses pairs. Me voilà prise en photo. Ah oui, j’ai omis de vous dire, Bricks tient aussi un magazine. Je serai le sujet d’une chronique, devenant l’arroseur arrosé.
Si vous passez par la vallée de Lika, retenez ces six lettres BRICKS. Vous avez 1000 raisons de passer à la salle de sport.
Mario Barišin, potier punk
Île de Brać, port de Milna
Sur l’île de Brač, je m'interromps en pleine cueillette de fleurs médicinales à la venue de Mario. Me voilà alors qui prend congé de mes obligations de workawayer * et pars en direction du port de Milna pour visiter une boutique de céramique. Mario est accompagné de son ami de jeunesse Ivan, musicien punk. Mario n'est pas seulement potier c'est aussi le bassiste de leur groupe Trobecove Krušne Peći, censuré sous le régime de Tito. Mais tout ça je l'ai appris autour d'un cappuccino sur le port de Milna.
Mario est potier depuis plus de 20 ans. Il commence après la guerre de Yougoslavie, chez un ami sculpteur qui a un tour de potier dans son atelier. Son ami lui propose de travailler pour lui contre un peu d’argent Mario accepte et se retrouve plongé dans le monde de la céramique par nécessité mais aussi parce que ça lui plaît dit-il. Il commence par faire de l’utilitaire car c’est ce qui se vend. Depuis six ans, il a délégué. Il a donc délégué à deux potiers de Zagreb le tournage de ses pièces. Mario s’occupe du design, de la décoration et des finitions. Il a trouvé son style avec ses paquebots colorés. Mario expérimente et a plein d’imagination. Au milieu d’objets touristiques, on trouve de belles idées, comme ces presses à cookies. Pour plus de performance, Mario est ingénieux. Les petites pièces sont décorées avec la technique de décalcomanie reprenant les motifs de paquebot multicolore. Il a aussi créé une mini boudineuse pour fabriquer des perles décorées avec une minutie impressionnante.
La boutique atelier est sur le port dans la maison familiale. Elle vaut le détour pour son emplacement et surtout pour la rencontre avec Mario. Le café d’à côté propose le meilleur cappuccino du port avec une belle mousse soupoudrée de cannelle. Il serait encore meilleur servi dans une tasse artisanale!
Site de la boutique de Mario Barišin : www.lumenshop.info
workawayer * : volontaire pour un projet d'eco-lieu
Les figurines de VELA SPILA
Vela Luka, ile de Korcula
Régina est une hôte hors du commun. Elle vous ouvre chaleureusement sa porte et vous invite naturellement à sa table. Tout d’abord pour un café, puis peu à peu la table se transforme en un banquet de poisson, de pieuvre mijotée, entouré de pastèques et de tomates ; le tout arrosé de vin pétillant. Son mari et son fils sont marins comme beaucoup d’hommes à Korćula. Ils partent travailler plusieurs mois à bord de paquebots. Elle est donc ravie et enthousiaste de notre compagnie. Le mauvais temps nous invite à rester une nuit de plus. Sans la pluie, sans l’hospitalité unique de Régina, je n’aurais jamais été sur le haut de la montagne du port de Vela Luka. Je n’aurais donc jamais connu la grande grotte qui abrite une découverte importante pour l’histoire de l’art et de la céramique.
La grande grotte, Vela Spila, a été habitée en permanence à partir de la dernière ère glaciaire c’est-à-dire -18 000 av. J.-C. Pour y entrer, vous passerez un petit porche de pierre, puis deux gigantesques ouvertures laisse apparaître la végétation et les rayons du soleil, vous permettant de progresser à la lueur du jour. Ce qui va nous intéresser ici ce sont les articles en argile brute retrouvés en couches successives datant de - 15 500 à -17 000 av. J.-C. Ces figurines représentant des animaux étaient modelées en terre crue puis jetées dans un feu. Certaines sont encore entières et d’autres sont explosées. Ces objets peuvent être comparés à ceux de Dolní Vestoniće en République tchèque. La découverte de ces figurines a permis de modifier les frontières du commencement de l’art abstrait comme mode d’expression. Elle a aussi permis de découvrir que la pratique de la céramique est 10 000 ans plus ancienne que les premiers pots retrouvés.
Merci Regina et merci la pluie!
Pour en savoir plus: https://www.nytimes.com/2012/09/11/science/ceramic-fragments-point-to-ice-age-artistry.html